Le Popper's show encourage gentiment le passage en cabine

« Mais vous n'aurez pas ma liberté de danser », où l'on apprend que vivre comme dans un clip de Beat Rock confine au rail de coc'.


Parce que tout n'est pas encore fini, Brain présente une fois par mois sa station d'essai de l'improbable : « Cabine d'essayage ». Le principe: détourner un détail de la vie quotidienne pendant quatre jours et en observer les conséquences pour la beauté du test. Ce mois-ci, l'expérience consiste à affronter la rentrée en dansant. Quatre jours durant, ni le droit de marcher sur les trottoirs ni celui de s'immobiliser aux passages piétons. Tango jusqu'au McDo, claquettes pour aller Chez Jeannette et Hip-hop au Monop'... du LSD à la LSDance, il n'y a qu'un pas de bourré.


Jour 1 – Tous les chemins mènent à Kamel Ouali
Impression d'être sous MDMA, l'endorphine me rend hystérique et le fait de danser tout la journée me donne des hallucinations sonores. Besoin d'une mélodie dans la tête en permanence pour pouvoir tricoter avec mes pieds. Les Jackson 5 vivent en moi, les reubeus de Stalingrad me chantent des berceuses et les vieilles dames canichées se poilent, toutes dents dehors. Un petit rat de l'apéro SDF m'accompagne même sur une vingtaine de mètres en riant comme un enfant sous poppers. « On dit que la vie est une folie et que la folie, ça se danse »: Sardou dans mon oreille, je rentre chez moi par les quais de Seine. Les sportifs font frétiller leurs muscles sous lycra en même temps que leur bonne humeur, et plus je danse, plus il y a de bienveillance et plus je gagne en assurance. Bientôt persuadée que je suis Jeni de la Star Academy, je confonds tous les épiciers du 19ème avec Kamel Ouali. Je leur dérobe pommes et grappe de bananes easy. Je grille tous les feux rouges, je bouscule les hommes pressés et vais jusqu'à fredonner le dernier Lorie. Peur de rien. Ne plus s'arrêter de danser, c'est comme goûter au LSD. Je ne ressens pas du tout la faim bien que je tremble d'hypoglycémie. Le Syndrome Dansant supprime toutes limites morales ou physiques, je serais capable d'écouter un album de Jean-Jacques Goldman en entier.

Jour 2 – Dépen-dance machine
Après un sommeil de douze heures, je me réveille d'un saut et comme certains sentent dès 10h l'appel du shit qui monte en eux, je sens le beat qui monte en moi.A cause de mes gestes de camée, speedés dès le lever, je casse la tasse que m'avait offert tata Yvonne from Morlaix deux jours plus tôt. Dehors, il fait un froid de connards et je me trémousse sur le trottoir pour me réchauffer. Dix minutes plus tard je sue, parfait. Comme il m'est impossible de parler ou de réfléchir en dansant, je suis plus attentive aux remarques des passants et définitivement, les hommes réagissent mieux que leurs zouzes à mon allure d'anguille teubée: à la terrasse du Café des Sports, des mecs me filment avec leur Iphone en riant tandis  à l'arrêt de bus, deux nanas me taxent de pute.

Jour 3 – Denfert-Rochereau, c'est les autres
Les regards les plus réprobateurs que je reçois ne sont pas, contrairement à ce que je pensais, ceux des parisiens des II et IIIème arrondissements, beaux-beaux propres et bien dans leurs repettos. Ceux là, plutôt étonnés, semblent penser que je suis golri et que c'est sympa l'originalité, ça fera une anecdote à raconter. Non, les vrais regards Laurence Boccolini, cruels et sans concession, ce sont plutôt ceux des « hipsters » mi-vintage mi-stabilo, qui traînassent dans Paris en attendant Godot. Alors que je me dirige vers le métro, sortant d'un rendez-vous dans le 14ème, un groupe de cette espèce me fixe d'un regard de haine. J'ai l'impression d'être Zaz en train de tourner son prochain clip et je rougis. Une honte violente qui empêche toute prise de recul est là, destituant toutes mes prétentions d'expérimentatrice décomplexée. La panique du ridicule me fait courir dans la bouche de la ligne 4: Denfert-Rochereau, c'est les autres.

Jour 4 – Mystic.com
Est-ce que Schopenhauer aurait écrit son Volonté et Représentation s'il avait su danser? On ne peut pas être nihiliste quand on danse. C'est faire l'expérience de la drogue sans sa dark side. On ne s'ennuie plus puisqu'on sue, on désespère moins de l'informe puisqu'on transforme. La transpiration confine au mysticisme: de Narta Deo à Coram Deo (« l'homme devant Dieu »), le chemin est vite fait. Alors tandis que mes jambes rebondissent sur le trottoir, mes pensées décollent vers une surréalité. La rue que je remonte (celle de Crimée) se fait voie divine. Dieu rescussite. Je marche sur les pas de Thérèse de Lisieux, confondant le pop-rock et le pape rock. Mon monde est musico-trippé et je suis bourrée d'amour comme jamais. Ex-tase à demi autiste, je ne m'arrête plus de fantasmer la réalité: les gens qui marchent dans la rue sont tantôt des diablotins bourrés d'atébas qui louent la gloire de Sinsemilia, tantôt des créatures angéliques perchées sur Louboutins, vieilles belles-gosses ridées blanches à forte poitrine. Flash Cocotte électrisée de la gare St Lazare à Barbès-Rochechouart, le monde est devenu une immense piste de trans-en-danse. 


Disponible également sur ; http://www.brain-magazine.com/article/news/11019-Cabine-d_essayage-

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